La Norvège avant les Vikings

Si l’on fait souvent commencer l’histoire de la Norvège avec le début de l’époque viking, soit à la fin du VIIIe siècle, le pays était déjà habité depuis plusieurs millénaires. En effet, après la dernière ère glaciaire, l’immense calotte de glace qui recouvrait toute la Scandinavie se retira lentement, laissant à l’homme une nouvelle terre à explorer et coloniser. Les premiers habitants arrivèrent donc il y a environ dix mille ans, attirés par un littoral riche en gibier et poissons, marquant le commencement de l’âge de pierre. D’abord chasseurs-cueilleurs et pêcheurs, et après différentes vagues de peuplement successives, ils occupèrent tout le pays trois millénaires plus tard et se sédentarisèrent en partie dès -4000 ans, tandis que d’autres conservèrent leurs traditions nomadiques.

D’après les fouilles des archéologues, ils travaillaient essentiellement des matières naturelles, comme l’os, le bois de cervidé, l’ivoire ou la pierre, pour confectionner des outils et des objets d’art. Ce fut même de cette période que des skis en bois, parmi les plus vieux au monde, furent exhumés. Ils étaient utilisés pour se déplacer facilement sur la neige et suivre les troupeaux de rennes par les chasseurs. Leurs descendants, les Samis, sont aujourd’hui le dernier peuple autochtone d’Europe.

En parallèle, d’autres populations, venues d’Europe Centrale, investirent le Sud du pays dès 1800 av. J.-C. et fondèrent les premiers villages. D’origine germanique contrairement aux ancêtres des Samis, qu’ils supplantèrent localement, ils firent entrer la Norvège dans l’âge du bronze en y apportant l’élevage et l’agriculture. Appelé également l’âge du bronze danois, cette période vit l’installation de Germains sur l’ensemble de la péninsule du Jutland et des îles avoisinantes (actuel Danemark), le Sud de la Suède ainsi que le littoral norvégien.

Pour la première fois, des échanges commerciaux se firent avec le reste le l’Europe, notamment grâce au commerce de l’ambre et de la fourrure. En contrepartie, ils obtinrent des métaux qu’ils travaillèrent pour fabriquer des outils, des armes et des statuettes, dont l’on retrouva des exemplaires. Ils reçurent aussi des bijoux et des pièces de monnaie, parfois arrivées après un long voyage à travers l’Eurasie.

Enfin, à partir de 400 av. J.-C., l’âge du fer se caractérisa par le développement de forges à haute température, nécessaires à l’évolution de l’artisanat. Les populations qui vivaient dans le Sud de la Norvège furent alors à l’origine de deux peuples, les Burgondes et les Lombards, acteurs majeurs ensuite lors des grandes invasions. Puis, au Ier siècle ap. J.-C., l’influence de la Rome antique commença à se faire sentir dans les échanges commerciaux, tandis que les ancêtres des Goths occupèrent l’actuelle région d’Oslo. A la chute de l’empire romain, vers l’an 400, les grandes invasions déferlèrent sur toute l’Europe occidentale et méridionale, notamment nourries par des populations germaniques issues de Scandinavie. Ce ne fut que deux siècles plus tard que ces peuples se sédentarisèrent dans leurs nouveaux territoires, en attendant les premiers raids vikings aux abords de l’an 800. L’Europe du Nord rentra alors directement dans le Moyen-Age sans passer par l’Antiquité.

Pendant des milliers d’années, ces peuples ne laissèrent que peu de traces visibles dans l’histoire. Presque isolés du reste du monde, ne connaissant qu’à peine l’écriture et ne bâtissant pas de villes ni de monuments, ils vécurent sans pouvoir donner beaucoup de preuves sur leur mode de vie et leur histoire une fois qu’ils auraient disparu. Par exemple, si en France, on dispose de nombreuses informations sur les Gaulois, c’est en partie grâce au témoignage des Romains, lesquels savaient décrire le monde qui les entourait par l’écriture. En revanche, ces derniers n’ayant pas étendu leur empire jusqu’à la Norvège, ils ne purent pas nous écrire ce qu’ils y auraient vu. Ne reste alors plus que les fouilles archéologiques.

Il existe dans toute la Norvège des sites, datés de différentes époques, qui fournissent aux historiens de précieux indices sur les populations qui vivaient là. Ainsi, le plus important d’entre eux se situe à Alta, dans le comté de Finnmark, en Laponie. Seul site préhistorique norvégien inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, il fut découvert dès les années 1950 et s’étend sur plusieurs localités au fond du fjord d’Alta. On y découvre des pétroglyphes, des dessins gravés sur la pierre, datés d’entre 5000 et 500 ans av. J.-C. Vraisemblablement réalisés par les ancêtres des Samis, ils représentent un bestiaire impressionnant, constitué de rennes, d’élans, d’ours, de loups, de renards, de baleines, de canards sauvages, de cygnes ou encore de saumons. On trouve également des gravures d’hommes pratiquant la chasse ou la pêche, armés de flèches ou naviguant sur des bateaux. De plus, certains personnages semblent danser et s’adonner à des cérémonies rituelles. Ce site est une source d’informations inestimable sur les hommes et les femmes qui peuplaient la région jusqu’au premier millénaire avant notre ère.

Les pétroglyphes d’Alta furent peints en rouge à leur découverte afin de les mettre en évidence. On voit ici un troupeau de rennes, un homme attrapant un élan (au centre) et une scène de pêche sur un bateau (à haut à droite).

A l’opposé, dans le Sud de la Norvège, à Kristiansand, plusieurs recherches archéologiques mirent à jour des preuves quant à l’installation de populations depuis une époque très reculée. Ainsi, dans la localité de Søgne, le squelette d’une femme, daté de 6500 av. J.-C., fut retrouvé en 1996. C’est le plus vieil être humain jamais exhumé. Aussi, à Hamresanden, les vestiges d’un enclos datant de 3400 av. J.-C. furent découverts en 2010. Ce type d’enclos, dit de Sarup d’après un site danois, est le premier identifié en Norvège. Enfin, sur la colline d’Ekeberg, à Oslo, des traces d’habitation dès l’âge de pierre furent mises à jour. Ce promontoire dominant le fjord fut durant des millénaires le lieu de vie de diverses communautés jusqu’à l’époque pré-viking.

D’ailleurs, des informations sur cette période se trouvent dans des tumulus, dont celui de Herlaugshaugen, sur l’île de Leka, dans le comté de Trøndelag. Ce monticule de 60 m de diamètre est l’un des plus grands de Norvège et fut la dernière demeure du roi Herlaug, qui régnait sur un royaume disparu au début de l’ère viking. Des trouvailles datées des VIIIe et IXe siècles y furent faites, dont des clous, une bouilloire en bronze et un squelette armé d’une épée, prétendument celui du roi Herlaug. Malheureusement, ces artéfacts disparurent dans les années 1920.

Cependant, à l’été 2023, les archéologues détectèrent la présence de la sépulture d’un navire, datant du début des années 700. L’enterrement de bateaux était une pratique courante chez les Vikings lors des funérailles d’un personnage de grande importance, mais il semble désormais qu’elle l’était aussi chez leurs prédécesseurs. Cette découverte met également en évidence la capacité de ces populations de construire des bateaux grands et sophistiqués, plus tôt qu’on ne le pensait. Par conséquent, les proches ancêtres des Vikings disposaient déjà de connaissances techniques pour bénéficier d’une force maritime efficace.

Toutefois, en plus des preuves matérielles, il existe des textes postérieurs, relatant des faits situés à l’époque pré-viking. Le plus important est la « Saga des Ynglingar », écrite en norrois vers l’année 1225 par le poète islandais Snorri Sturluson, lui-même s’étant basé sur le récit du scalde norvégien Thjodolf des Hvinir (Tjodolv fra Kvine), ayant vécu entre la fin du IXe et le début du Xe siècles. Contant la plus ancienne histoire scandinave connue et d’inspiration mythologique, elle traite de la dynastie royale des Ynglingar, originaire de Suède et de laquelle est issu Harald Ier, dit « à la belle chevelure », premier roi de Norvège de 872 à 930. Son fondateur, le roi Fjölnir (Fjolne ou Fjølne en norvégien), est décrit comme le fils du dieu Freyr et aurait vécu au IIIe siècle. En tout, vingt-sept rois ancestraux sont décrits dans la saga, qui s’étend sur une période d’environ sept-cents ans. On apprend quels sont leurs liens familiaux et comment sont-ils morts. Cependant, cette chronique, écrite bien longtemps après les faits, relève plus de la légende que de la vérité historique, bien que certains tumulus en Suède et en Norvège semblent corroborer certains évènements.

Un autre texte qui fait référence à la Scandinavie à l’époque pré-viking est le « Beowulf », un poème épique anglo-saxon écrit entre le VIIe et le Xe siècles. Rédigé en vieil anglais, il conte l’épopée du héros fictif Beowulf, tout en évoquant des évènements historiques réels ainsi que des rois danois et suédois du Ve au VIIe siècles.

En revanche, un conte viking semble bel et bien raconter un morceau avéré de l’histoire scandinave. Écrit sur une pierre runique suédoise du IXe siècle, le « Fimbulvetr », ou « grand hiver », est un épisode de la mythologie nordique relatant un hiver long de trois années consécutives, rude et sans soleil. Il prédit de surcroît des combats violents et fratricides, motivés par la convoitise. Cet évènement lugubre est tout simplement précurseur du Ragnarök, l’apocalypse qui vit les dieux mourir et le monde s’effondrer.

Les chercheurs découvrirent alors, en analysant des troncs d’arbres fossilisés et des sédiments, que l’année 536 fut la plus froide des 2 500 dernières années. La décennie qui suivit fut même tout aussi glaciale. Et ce, sur la planète entière. Des textes anciens décrivent des récoltes désastreuses en Irlande, au Japon et en Mésopotamie, confirmés par des études scientifiques récentes. Or, cette catastrophe climatique sembla encore plus terrible en Scandinavie.

Alors que des sites datés du Ve et du début du VIe siècles sont très riches en matériel archéologique, les chercheurs observent un grand vide à partir de l’année 540. Ils en concluent que le temps épouvantable mena à des famines inéluctables, lesquelles vidèrent les villages de leurs habitants. Certaines régions de Norvège et de Suède perdirent plus de la moitié de leur population, tandis qu’au Danemark, on remarque une augmentation des offrandes faites aux dieux, réclamant le retour du soleil. Quant aux survivants du manque de nourriture, ils durent encore affronter une épidémie de peste bubonique en plus de la violence causée par la quête pour les rares ressources restantes.

D’après les scientifiques, cette grave crise aurait été provoquée par une première éruption volcanique en Amérique du Nord, d’une intensité inouïe, suivie d’une seconde en Amérique Centrale. Les immenses panaches de cendre et de poussière libérés dans l’atmosphère formèrent ainsi un voile brumeux dans le ciel qui bloqua le rayonnement solaire, plongeant le monde dans un petit âge glaciaire. Ce ne fut qu’un peu plus d’un siècle plus tard que le climat revint à son état d’origine. En attendant, après une déperdition culturelle et démographique, les peuples du Nord se reconstruisirent, imprégnant dans l’imaginaire collectif ce triste épisode.

En tout cas, les ancêtres des Vikings formaient des communautés qui, tour à tour, étaient alliées ou bien entraient en conflit. Progressivement, ils fondèrent une société complexe, dirigée par des chefs et régie par des lois. Leur technologie évolua au fil des siècles, nourrie par les échanges avec leurs voisins, notamment dans le domaine maritime, ce qui allait faire d’eux des navigateurs exceptionnels. Leurs connaissances dans la navigation leur auraient d’ailleurs été inculquées par les Frisons, un peuple germanique installé dans les îles de la Frise, entre les Pays-Bas et l’Allemagne actuels. Il ne leur manquait plus qu’à les perfectionner. Aussi, pour transcrire leur langue, ils développèrent l’alphabet runique, hérité d’autres peuples germaniques. Enfin, leurs croyances et leur mythologie prirent forme, issues de légendes et de cultes très anciens, transmis de génération en génération. Et après de longues années dans l’oubli, ils allaient bientôt rentrer dans l’histoire.

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