Une fois encore, la Norvège a débuté l’année à la première place au classement mondial de l’indice de développement humain (IDH). Cet indice, calculé par le programme des nations unies pour le développement, prend en compte divers critères, dont l’espérance de vie, le niveau d’éducation, les revenus moyens ou bien l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce dernier critère, ancré dans les mentalités depuis de nombreuses décennies, s’illustre notamment par une maxime partagée par beaucoup de Norvégiens : une femme est un homme comme les autres et inversement. Dans la vie quotidienne, cette parité s’exprime par exemple par un nombre équivalent d’hommes et de femmes siégeant au Storting (le Parlement, photo en une) ou dans les conseils d’administration des entreprises. Et bien qu’à poste égal, une femme touche en moyenne un salaire inférieur à celui d’un homme, cette différence diminue régulièrement et est une des plus faibles au monde.
Déjà, au temps des Vikings, les femmes bénéficiaient de certaines libertés, comparé à d’autres civilisations contemporaines de leur époque. Une femme célibataire et sans enfant pouvait hériter de son père, de son grand-père ou de son oncle paternel en l’absence d’un héritier masculin dans la famille. Ainsi, elle devenait propriétaire d’une habitation ou d’un terrain, mais pouvait aussi jouir d’une autorité familiale et accéder au statut de chef de famille. De ce fait, elle remplaçait un père ou un frère défunts et exerçait le rôle de matriarche. Cependant, une fois mariée, ses droits étaient cédés à son mari. Majeures à l’âge de 20 ans, les femmes étaient considérées comme des personnes à part entière devant la loi et pouvaient décider seules de leur avenir, même si les mariages étaient souvent arrangés par les familles. Toutefois, elles pouvaient vivre et avoir des enfants avec un homme sans être mariées sans que cela ne soit socialement inconcevable. Les enfants nés hors mariage n’étaient donc pas illégitimes et avaient le même statut que des enfants nés après le mariage. De plus, une femme avait le droit de divorcer puis de se remarier. Le remariage était également possible pour une veuve, laquelle redevenait une femme libre dès le décès de son époux.
Bien que ne pouvant avoir accès à des rôles politiques, réservés aux hommes, les femmes pouvaient, au contraire, accéder à de hautes responsabilités religieuses. Certaines étaient prêtresses tandis que d’autres étaient oracles, assurant ainsi le culte de la mythologie nordique auprès de leurs semblables. Il y en avait aussi qui étaient poétesses, lesquelles étaient appelées, au même titre que leurs homologues masculins, des scaldes. Rédigée en runes, les lettres formant l’alphabet norrois, la poésie scaldique décrivait les exploits d’illustres personnages ou contait les sentiments humains, parfois accompagnés par la musique de la harpe ou de la lyre. Sinon, les métiers que les femmes exerçaient habituellement étaient liés à l’agriculture, à l’artisanat, au commerce ou à la médecine. Enfin, une théorie récente, étayée par des archéologues, prétend que quelques femmes auraient pu intégrer l’armée et ainsi être de véritables guerrières. Relatées dans les légendes scandinaves, les femmes guerrières ont peut-être réellement existé, si l’on en croit une étude réalisée à partir d’une ancienne sépulture découverte en Suède, laquelle abrite le corps d’une femme inhumée avec des armes. Souvent dépeintes dans les récits et autres sagas où elles ont inspiré les walkyries, les femmes portant l’épée ne sont pas forcément que pure fiction.
Après l’introduction du christianisme, les droits des femmes ont quelque peu évolué afin de répondre aux préceptes de la nouvelle religion. Plusieurs siècles plus tard, lorsque la Réforme protestante s’est imposée en Norvège et dans tout le Nord de l’Europe, le statut des femmes dans la société a encore bougé, progressivement. Ainsi, quand l’autorité religieuse leur était de nouveau ouverte, des femmes ont été ordonnées pasteurs dès la moitié du XXème siècle. Aujourd’hui, l’évêque d’Oslo est une femme : Kari Veiteberg a été consacrée en décembre 2017 mais n’est pas une exception. Sur les onze évêchés que compte le pays, cinq sont actuellement dirigés par des femmes, tandis que la conférence des évêques l’est aussi depuis 2010.
A la fin du XIXème siècle, le féminisme en tant que pensée philosophique et sujet de revendication apparaît en Europe occidentale. En Norvège, il est marqué par la création en 1879 de la pièce de théâtre « Une maison de poupée » (« Et Dukkehjem » en version originale), écrite et mise en scène par Henrik Ibsen. Dans cette pièce audacieuse pour son temps, le dramaturge norvégien décrit l’envie et le besoin d’émancipation de Nora, mère au foyer et épouse dévouée. Confrontée à sa condition de femme dans un monde d’hommes, elle décide, à la fin de la pièce, de quitter mari et enfants à la recherche de réponses à ses questions et de sa liberté. Pour expliquer sa pensée, Ibsen dira : « une femme ne peut pas être elle-même dans une société […] d’hommes avec des lois écrites par les hommes. » Et ajoutera : « les conseillers et les juges évaluent le comportement féminin à partir d’un point de vue masculin. » Critique acerbe des liens du mariage et de la relation homme-femme traditionnelle, « Une maison de poupée » est jugée scandaleuse par bon nombre de contemporains. Toutefois, c’est le scandale qu’elle a suscité qui a fait de la pièce un succès. Elle a, par la suite, été jouée dans beaucoup de pays, se moquant parfois des interdits et de la censure, puis adaptée plusieurs fois pour le cinéma. Par sa popularité et les messages qu’elle transmet, le personnage de Nora a même donné naissance à un nouveau mot, le « noraisme », synonyme de féminisme. En 2001, en reconnaissance de l’influence que l’oeuvre a eu dans la société à travers la planète, l’UNESCO l’a inscrite dans son registre international de la Mémoire du monde.
Les premières victoires du féminisme ne se font pas attendre, puisque le 11 juin 1913, les femmes norvégiennes obtiennent le droit de vote au suffrage universel. Seules la Nouvelle-Zélande, l’Australie et la Finlande ont précédé la Norvège, ce qui fait du royaume un précurseur dans les droits des femmes. D’ailleurs, dès 1901, les femmes issues de la bourgeoisie votaient déjà lors des élections municipales, avant de voir leur droit étendu aux élections parlementaires en 1907, niveau le plus haut de la politique norvégienne. En 1910, toutes les femmes ont pu voter dans le cadre des municipales, en attendant le décret de 1913.
De nos jours, la Norvège est un des pays au monde où les droits des femmes et l’égalité des sexes sont les mieux respectés. Beaucoup de Norvégiennes ont accédé à des postes à haute responsabilité, dont celui de premier ministre, occupé à trois reprises par une femme : Gro Harlem Brundtland (trois fois entre 1981 et 1996), Anne Enger (par intérim en 1998) et Erna Solberg (de 2013 à 2021, mise à jour). Le premier gouvernement paritaire a été formé en 1989, et depuis cette date, il y a toujours eu autant de femmes que d’hommes en charge d’un ministère. En dehors de la politique, de nombreuses entreprises, sociétés ou associations sont dirigées par des femmes. Elles sont présentes dans la plupart des domaines professionnels et peuvent même intégrer la garde royale.
Dans le cadre familial, on pourrait dire que les rôles s’inversent, bien que cela ne soit pas forcément vu de cette manière. Par exemple, les pères norvégiens bénéficient d’un congé paternité légal de trois mois. Au même titre que pour les femmes, les lois du pays permettent aux hommes de privilégier leur vie de famille sur leur vie professionnelle et de s’occuper autant qu’ils le souhaitent de leurs enfants aux côtés de leur compagne. Les tâches sont souvent partagées et il n’est pas rare de croiser dans les parcs et les rues des pères, parfois seuls, promener une poussette et donner un biberon.
La Norvège ose le féminisme depuis de nombreuses années et cela lui réussit bien. D’après cette enquête, c’est aussi une des réponses qui revient le plus lorsque l’on interroge les Français sur leur vision de la Norvège. N’en déplaise à certains d’ici et d’ailleurs, voici une formule mathématique exacte : 1 femme = 1 homme.
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