Il est l’un des écrivains norvégiens les plus importants du XIXème siècle, dont la renommée a dépassé les frontières de son pays. Bjørnstjerne Bjørnson a écrit des poèmes, des pièces de théâtre et des romans contant la vie de ses compatriotes, ainsi que les paroles de l’hymne national. Son œuvre lui a également valu de recevoir le Prix Nobel de littérature. Reposant au cimetière de Notre Sauveur à Oslo, le faste de sa sépulture n’a d’égale que la sobriété habituelle des tombes voisines.
Destins Norvégiens, Episode 12 : Bjørnstjerne Bjørnson

Bjørnstjerne Martinius Bjørnson naquit le 8 décembre 1832 à Kvikne, dans le comté de Hedmark. Fils d’Inger Elise Nordraak et du pasteur Peder Bjørnson, il passa les premières années de sa vie dans la ferme de Bjørgan. Son père, qui avait grandi dans une famille de paysans, avait décidé de suivre des études de théologie avant d’être nommé pasteur dans le village de Kvikne. En 1837, lorsqu’il fut muté dans la paroisse de Nesset, près de Molde, lui et sa famille déménagèrent pour s’installer dans le Romsdal, région célèbre pour ses fjords. Ce fut dans ce décor que le jeune Bjørnson se découvrit une vocation d’écrivain.
Elevé dans un milieu champêtre, il développa très vite un fort attachement pour les agriculteurs et la nature. En même temps, il acquit une conscience politique, née notamment avec la condamnation à mort de Per Hagbø. Accusé du meurtre d’une jeune femme, ce fils de paysan fut décapité le 29 janvier 1842 à l’âge de 22 ans. A la suite de ce fait divers, Bjørnson, qui n’avait que neuf ans, devint un ferme opposant à la peine de mort, finalement abolie dans le domaine civil en 1902. Il relaterait plus tard ce douloureux souvenir d’enfance dans Et stygt Barndomsminde.
A partir de 1850, il partit étudier à Oslo afin de devenir journaliste. Pour espérer vivre de sa passion, il se spécifia dans la critique d’art dramatique. Pendant ses années d’études, il était logé chez son cousin Rikard Nordraak, lequel serait plus tard un grand compositeur. Sa mère était, en effet, la sœur du père de Rikard Nordraak. Impressionné par le talent précoce de son jeune cousin, il imaginait déjà ses poèmes mis en musique par ce dernier.
Après ses débuts de journaliste en 1852, il écrivit sa première pièce de théâtre, Entre les batailles (Mellem Slagene), jouée en 1857 et racontant la guerre civile qui éclata au XIIème siècle en Norvège. La même année, il publia une nouvelle, Trond, ainsi que son premier roman paysan, Synnøve Solbakken. D’abord publié dans un journal illustré (Illustreret Folkeblad), il y contait la vie du peuple de la terre, comme il avait pu le connaître, avec ses histoires et ses difficultés. Il trouva là son propre style et son idée directrice, qui était de faire l’analogie entre les héros des sagas et les paysans de son temps. De plus, à l’instar de son compatriote Henrik Ibsen, il écrivait en danois, ou dano-norvégien, et faisait publier ses œuvres par un éditeur de Copenhague.
En novembre 1857, il fut nommé directeur du Théâtre de Bergen et succéda ainsi à Ibsen. En 1858, il épousa Karoline Reimers. Le mariage eut lieu à Søgne, dans le Sud de la Norvège, commune dont le père de Bjørnson était le nouveau pasteur. Le couple eut six enfants, nés entre 1859 et 1876.
En 1858, il monta la pièce de théâtre Halte-Hulda, dans la verve de ce qu’il appelait le drame national, ou folke-stykker. Par ses pièces, il voulait exalter le sentiment national, puisé dans l’histoire et les mythes. L’année suivante, il écrivit un second roman paysan, Arne, traduit en français sous le nom Les Âmes en peine. En 1860, il récidiva avec Un joyeux compagnon (En glad Gut), puis La Fille de la pêcheuse (Fiskerjænten) en 1868.
En 1861, il publia un nouveau drame national, Le Roi Sverre (Kong Sverre), suivi un an plus tard de la trilogie Sigurd le Cruel (Sigurd Slembe). De retour à Oslo dès 1859, il fut engagé comme rédacteur par le journal Aftenbladet, pour lequel il rédigea des articles politiques. Aussi, il dirigea le Théâtre des étudiants, avant de créer avec Ibsen la Société Norvégienne (Det Norske Selskab), dont l’intérêt était de rassembler les artistes et les hommes politiques norvégiens les plus influents de l’époque.
De 1860 à 1863, il voyagea entre Copenhague et Rome, en compagnie de son épouse et de leur premier fils, Bjørn. De retour en Norvège, il devint directeur du Théâtre d’Oslo en 1865 et écrivit deux pièces dramatiques, Marie Stuart en Ecosse (Maria Stuart i Skottland) et Les Nouveaux Mariés (De Nygifte).
Le 17 mai 1864, un de ses poèmes écrit en 1859 fut mis en musique par Rikard Nordraak à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Constitution d’Eidsvoll. Ce chant patriotique norvégien, rebaptisé Ja, vi elsker dette landet (Oui, nous aimons ce pays), devint alors l’hymne national de la Norvège. Aujourd’hui, sur les huit couplets du poème, seuls le premier, le septième et éventuellement le huitième sont joués. (Retrouvez la musique dans l’article consacré à Rikard Nordraak)
Paroles en norvégien
Ja, vi elsker dette landet
som det stiger frem,
furet, værbitt over vannet,
med de tusen hjem.
Elsker, elsker det og tenker
på vår far og mor,
og den saganatt som senker
drømmer på vår jord.
Norske mann i hus og hytte,
takk din store Gud!
Landet ville han beskytte,
skjønt det mørkt så ut.
Alt hva fedrene har kjempet,
mødrene har grett,
har den Herre stille lempet
så vi vant vår rett.
Ja, vi elsker dette landet,
som det stiger frem,
furet, værbitt over vannet,
med de tusen hjem.
Og som fedres kamp har hevet
det av nød til seir,
også vi, når det blir krevet,
for dets fred slår leir.
Traduction en français
Oui, nous aimons ce pays
Comme il émerge
Érodé par les éléments surgissant de la mer
Avec ses mille foyers
Aime, aime-le et pense
À nos pères et mères
Et cette nuit fantastique qui fait tomber Des rêves sur notre terre
Norvégien, dans tes maisons et tes cabanes,
Remercie ton grand Dieu !
Il voulait défendre le pays
Même si son avenir semblait sombre
Toutes les batailles de nos pères Et les pleurs de nos mères, Le Seigneur en paix est resté Et nous avons gagné notre liberté
Oui, nous aimons ce pays
Comme il émerge
Érodé par les éléments surgissant de la mer
Avec ses mille foyers.
Et comme lors des batailles de nos pères
Qui nous menèrent à la victoire,
Aussi, s’il est nécessaire
Pour la paix nous combattrons
En 1870, Bjørnson publia Poèmes et Chants (Digte og Sange), un recueil de poèmes issus de ses romans. La même année, il écrivit un cycle épique, intitulé Arnljot Gelline et inspiré d’une légende nordique. Dans ce recueil, figurait notamment une ode, Bergliot, laquelle marqua profondément la poésie lyrique norvégienne. Après la mort de Rikard Nordraak, qui collaborait souvent avec lui, ce fut au tour d’Edvard Grieg de mettre en musique certains de ses poèmes et de ses drames. En 1872, il monta la pièce Sigurd Jorsalfar, un nouveau drame inspiré par les sagas.
De 1874 à 1877, il s’exila volontairement et écrivit deux drames sociaux : La Faillite (En Fallit) et Le Journaliste (Redaktøren). A ce moment, une crise religieuse l’éloigna de l’Eglise et influença son travail. En 1877, il publia un nouveau roman, Magnhild, dont le thème était la condition de femme mariée. Deux ans avant la Maison de poupée d’Ibsen, son roman abordait la question du féminisme et de l’émancipation des femmes. Puis, dans la pièce Le Roi (Kongen), il exprima ses idées républicaines. Dans la foulée, il publia un essai sur La liberté intellectuelle (Om Åndsfrihed), dans lequel il développa ses opinions, puis un roman sur la guerre d’indépendance italienne, Capitaine Mansana (Kaptejn Mansana), paru en 1878.
En 1879, le drame Leonarda fit une nouvelle fois écho au féminisme, tandis qu’il écrivit encore une pièce satirique, Le Nouveau Système (Det nye System). En 1883, il revint au drame social avec Un Gant (En Hanske), avant de publier une de ses plus célèbres pièces : Au-delà des forces (Over Ævne), un drame mystique et symbolique sur l’exaltation religieuse.
Par la suite, il écrivit plusieurs romans, dont Des drapeaux dans la ville et au port (Det flager paa Byen og paa Havnen) en 1884 et Sur le chemin de Dieu (Paa Guds veje) en 1889. Après s’être essayé avec succès à la comédie grâce à Géographie et Amour (Geografi og Kærlighed), il publia ses dernières pièces de théâtre : Au-delà des forces II en 1895, Paul Lange et Tora Parsberg en 1898, Laboremus en 1901, A Storhove en 1902 et La Ferme de Dag en 1904. En 1909, il écrivit le drame Lorsque le vin nouveau fleurit (Naar den ny vin blomstrer), une œuvre lyrique qui paracheva sa carrière.
Entre temps, il défendit le capitaine Alfred Dreyfus et se montra favorable à la séparation de la Norvège et de la Suède. En 1903, il reçut le Prix Nobel de littérature, après avoir lui-même été membre du comité Nobel. A l’indépendance de la Norvège, il prôna la conciliation avec la Suède et appela à formation d’un régime monarchique, bien qu’il fût républicain, afin que son pays restât sur un pied d’égalité avec ses voisins scandinaves.
Le 26 avril 1910, il décéda à l’Hôtel Wagram à Paris, où il passait ses hivers depuis plusieurs années. Il fut alors rapatrié par bateau en Norvège et inhumé à Oslo le 3 mai, lors d’une cérémonie solennelle qui attira une foule nombreuse. Il était le « poète national », dont l’idéal humaniste et optimiste n’eut de cesse de dicter l’œuvre prolifique.
A suivre : Ole Bull, le violoniste des fjords
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