Si la plupart des Norvégiens et Norvégiennes qui ont marqué l’histoire de leur pays étaient des artistes, des explorateurs ou des personnalités politiques, certains grands sportifs ont fait briller les couleurs de leur drapeau par leurs exploits. Parmi eux, figure Oscar Mathisen, un des meilleurs patineurs de vitesse du début du XXème siècle. Médaillé à de multiples reprises sur les compétitions internationales, il est considéré comme un héros de la jeune Norvège, alors nouvellement indépendante. Une statue lui fait même honneur, à quelques pas du parc Frogner, à Oslo.
Destins norvégiens, Episode 6 : Oscar Mathisen

Oscar Wilhelm Mathisen naquit le 4 octobre 1888 à Christiania, aujourd’hui Oslo. Dernier d’une famille de sept enfants, il grandit dans les quartiers populaires de la capitale norvégienne. Ses parents, Carl Anton et Pauline, étaient originaires des comtés d’Oppland et de Hedmark, terres de forêts et de montagnes situées au Nord d’Oslo. Mis très jeune sur des patins à glace, il suivit les pas de son grand frère Sigurd, né en 1884, lequel participa aux championnats du monde dès 1902. En 1904, Sigurd devint champion du monde, tandis qu’Oscar prit part à ses premières compétitions de patinage. En sportif accompli, il pratiqua aussi le plongeon et le cyclisme.
En 1907, alors âgé de 18 ans, il remporta ses premiers championnats de Norvège. En mode « toutes épreuves » (ou « allround »), les championnats nationaux et internationaux de patinage de vitesse se déroulaient sur deux jours, durant lesquels étaient disputés le 500 m, le 1 500 m, le 5 000 m et le 10 000 m. Le vainqueur était déclaré d’après un classement général final par points. Les scores étant établis en fonction des temps, c’était le plus petit score qui l’emportait. Créé dès la fin du XIXème siècle, ce format de compétition allait subsister jusqu’à nos jours, ce qui en fait un des plus anciens encore en vigueur dans l’histoire du sport.
L’année suivante, sur la glace suisse de Davos, Mathisen fut sacré champion du monde pour la première fois de sa carrière. Malgré une chute sur le 500 m, il s’imposa au général grâce à ses victoires sur les trois autres distances. Sur le podium, il devança son compatriote Martin Sæterhaug et le Suédois Moje Öholm. Par ce succès, il devint le premier champion du monde issu de la Norvège indépendante, alors séparée de la Suède dès 1905.
En 1909, il conserva son titre mondial, à domicile, sur la patinoire du stade Frogner à Oslo. Vainqueur du 500 et du 1 500 m, il s’imposa finalement devant le Norvégien Oluf Steen et le Suédois Otto Andersson. Cette même année, il remporta les championnats de Norvège et les championnats d’Europe.
Lors des mondiaux de 1910, disputés à Helsinki en Finlande, il fut battu par le Russe Nikolay Strunnikov. Victorieux sur le 500 m puis deuxième du 5 000 m, il remporta encore le 1 500 m mais perdit le titre après le 10 000 m, largement devancé par son rival russe. Il dut alors se contenter de la médaille d’argent, tandis que Martin Sæterhaug compléta le podium. Malgré sa défaite, il salua la victoire de Strunnikov, tout comme il montrait toujours énormément de respect pour ses adversaires.
En 1911, il fut suspendu après avoir reçu de l’argent pour courir, ce qui était considéré comme du professionnalisme. Interdit à l’époque, cela lui valut d’être disqualifié pour le restant de la saison. Il profita ainsi de sa mise à l’écart pour améliorer sa technique.
Pour son retour à la compétition, il participa notamment aux championnats du monde, organisés à Oslo. Impressionnant de maîtrise, il remporta les quatre épreuves et relégua très loin ses adversaires. Il laissa derrière lui le Finlandais Gunnar Strömstén et son compatriote Trygve Lundgreen. Avec ce troisième sacre mondial, il égala le Néerlandais Jaap Eden, titré entre 1893 et 1896. Cette même année, il s’adjugea aussi les championnats d’Europe et les championnats de Norvège.
En 1913, aux mondiaux d’Helsinki, il conserva son titre avec une grosse avance sur les Russes Vassili Ippolitov et Nikita Naydenov. L’année suivante, sur la glace d’Oslo, il fut repoussé dans ses retranchements par Ippolitov mais parvint à garder l’avantage pour s’offrir un cinquième sacre en carrière, tandis que le podium fut complété par le Finlandais Väinö Wickström. Il aura ensuite fallu attendre 1931 pour que le Finlandais Clas Thunberg égalât son record de cinq médailles d’or. Puis, ce fut le Néerlandais Sven Kramer qui fit de même en 2012, avant de finalement conquérir son neuvième titre en 2017 et établir un nouveau record.
Sans la Première Guerre Mondiale qui interrompit les compétitions internationales de 1915 à 1921, Oscar Mathisen aurait certainement pu aller chercher d’autres médailles d’or. Cependant, sa carrière n’allait pas s’arrêter pour autant.


La Norvège n’étant pas impliquée dans la guerre, elle continua à organiser ses championnats nationaux annuellement. En 1915, Mathisen s’adjugea un nouveau sacre de champion de Norvège, son sixième en tout.
Devenu professionnel en 1916, il concourut beaucoup aux Etats-Unis. En 1920, il s’opposa à l’Américain Bobby McLean à Oslo pour le titre de « champion du monde professionnel ». Vainqueur de trois des quatre distances, il décrocha ce sacre non-officiel, confirmant son statut de meilleur patineur de son temps. Par la suite, il ne participa qu’à quelques reprises aux compétitions internationales.
En 1929, alors âgé de 40 ans, il s’aligna sur une course internationale à Davos, où il battit deux records du monde sur le 1 000 m puis le 500 m. Toutefois, la fédération internationale de patinage (ISU) ne les valida pas à cause de son statut de patineur professionnel. En tout, il établit 14 records du monde entre 1908 et 1916 sur toutes les distances. Qualifié d’imbattable, il vit par exemple son record du 1 500 m tenir pendant 23 ans. Réalisé en 1914 en 2.17,4, il ne fut effacé qu’en 1937. Ainsi, pendant au moins une dizaine d’années, il détint à lui-seul tous les records.
Lorsque les Jeux Olympiques d’hiver furent pour la première fois organisés à Chamonix en 1924, il ne put songer y participer puisqu’il était déjà devenu professionnel. Ainsi, ce fut la génération de patineurs qu’il inspira qui partit représenter la Norvège dans les Alpes françaises. Bien que n’ayant pas décroché de titre olympique, Roald Larsen remporta en tout cinq médailles, une sur chaque épreuve. Finalement, au classement des médailles de ces premiers Jeux, la Norvège fut la meilleure nation, grâce notamment aux performances de ses athlètes en ski nordique.
Mais le digne héritier d’Oscar Mathisen fut sans conteste Ivar Ballangrud. En effet, ce dernier remporta quatre médailles d’or olympiques, dont trois glanées lors des Jeux de Garmisch-Partenkirchen en 1936. En plus de ses sacres olympiques, il s’adjugea également quatre championnats du monde et autant de championnats d’Europe entre 1926 et 1938.
Après sa retraite, Mathisen entraîna de jeunes patineurs jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. Il tint aussi un magasin de sport dans la Pløens gate, au centre-ville d’Oslo, où de nombreux coureurs norvégiens et du monde entier se retrouvaient régulièrement.
En 1946, il publia son autobiographie, intitulée Mitt livs løp (La course de ma vie). Le 10 avril 1954, la tragédie survint lorsqu’il assassina son épouse, Sigrid, laquelle souffrait d’une profonde dépression depuis de longues années, avant de retourner l’arme contre lui. L’annonce de son suicide suscita une vive émotion parmi les Norvégiens, lui qui avait toujours joui d’une énorme popularité. Il était celui qui incarnait la réussite de la Norvège : ce petit et jeune pays, tout juste sorti du XIXème siècle, qui battait son voisin et rival suédois et humiliait la grande et puissante Russie. Au-delà de la dimension sportive, ses succès pénétraient la sphère politique.
Le 13 février 1959, la statue à son effigie fut inaugurée à deux pas du parc Frogner, tout près du stade du même nom, sur la glace duquel il réalisa nombre de ses exploits. La même année, le prix Oscar Mathisen (Oscarstatuetten), dont le trophée était la réplique de la statue, fut créé pour récompenser la meilleure performance mondiale de l’année, tant chez les hommes que chez les femmes. La course Oscar Mathisen (Oscarløpet) fut également lancée puis disputée tous les ans.
Aujourd’hui, si les records de Mathisen ne sont plus que de lointains souvenirs, il demeure une figure importante de l’histoire du patinage de vitesse. Quant à ses compatriotes, comme le reste du monde, ils subissent désormais depuis plusieurs décennies la domination des Pays-Bas. Cependant, après les exploits de Hjalmar Andersen (1950s), Knut Johanessen (1960s), Jan Egil Storholt (1970s) et Johann Olav Koss (1990s), la nouvelle génération emmenée par Håvard Bøkko, Håvard Lorentzen et Sverre Lunde Pedersen a retrouvé le chemin de l’or. Ainsi, aux Jeux Olympiques de Pyeongchang en 2018, les patineurs norvégiens ont remporté deux titres, dont celui de la poursuite par équipe. Des victoires que tout un peuple attendait depuis longtemps.
A suivre : Fridtjof Nansen, la paix des glaces
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