En France et ailleurs, il est courant de confondre Norvège et Suède. Comme excuse à cette confusion, on répond souvent que c’est pareil, que ce sont les deux mêmes pays et que ce n’est que le nom qui change. Alors, bien que les deux peuples soient très proches, tant géographiquement que culturellement, qu’ils forment tous les deux des nations scandinaves, il serait incorrect d’affirmer que c’est la même chose. De la même façon que les Allemands et les Autrichiens sont différents ou que les Américains et les Canadiens n’aiment pas être confondus.
Dès les premières heures de l’époque viking, les populations d’origine germanique qui habitaient la Scandinavie s’étaient divisées en trois royaumes : le Danemark au Sud, sur la péninsule du Jutland, la Suède à l’Est, sur les rives de la mer Baltique, et la Norvège à l’Ouest, sur les côtes de la mer du Nord et de l’océan Atlantique. Tandis que les Vikings partaient à la conquête du monde et guerroyaient en France et en Angleterre, les rivalités entre les trois royaumes scandinaves commençaient à germer. A la fin de l’ère viking, des périodes de guerre et de paix se sont succédé jusqu’à l’Union de Kalmar en 1397, où la Norvège, la Suède et le Danemark ne formaient plus qu’un seul royaume. Mais en 1523, l’Union s’est délitée après une guerre menée par la Suède. Dès lors, de nouvelles tensions ont provoqué d’autres conflits entre la Suède d’une part et l’union du Danemark et de la Norvège d’autre part. En 1814, alors que les guerres napoléoniennes touchaient à leur fin, la Norvège a été libérée de la domination danoise mais a dû se soumettre à une nouvelle union avec la Suède. A partir de la moitié du XIXe siècle, les royaumes scandinaves ne sont plus jamais entrés en guerre les uns contre les autres, laissant place à une solidarité nordique. En 1905, la séparation de la Norvège et de la Suède s’est ainsi faite par la diplomatie, sans heurts.
Cependant, les périodes successives de domination de la Norvège par le Danemark puis la Suède ont laissé des traces dans la culture et la société norvégiennes. Si la Norvège a pu profiter des avantages économiques des deux unions, elle a aussi dû subir des décisions politiques imposées par ses voisins et surtout se plier aux influences extérieures. Des siècles de domination ont donc fait naître dès le début du XIXe siècle un sentiment nationaliste de plus en plus fort chez les Norvégiens, lequel a finalement débouché sur l’indépendance. Près de cinq-cents ans plus tard, la Norvège retrouvait enfin sa liberté.
Il était alors temps pour le jeune royaume de prendre sa revanche. Si la prospérité économique s’est déclenchée dès les années 1970 avec le début de l’exploitation du pétrole en mer du Nord, c’est par le sport que la Norvège a commencé à faire briller ses couleurs. Et le premier rival était la Suède. Le ski de fond étant le sport majeur en Scandinavie, Norvégiens et Suédois n’ont eu de cesse de s’opposer sur les pistes du monde entier. Dès les premiers Jeux Olympiques d’hiver de 1924 à Chamonix, les deux pays se sont mesuré l’un à l’autre afin de déterminer lequel était le meilleur de tous. Pour l’instant, c’est la Norvège qui est de loin la meilleure nation avec un total de 405 médailles dont 148 en or, soit mieux que les Etats-Unis (deuxièmes), l’Allemagne (troisième) et donc la Suède, septième nation avec 166 médailles dont 65 en or.
La rivalité suédo-norvégienne en sport pourrait ressembler à un match de rugby entre la France et l’Angleterre. Quand l’une des deux équipes bat l’autre, surtout lors des relais en ski de fond, elle ne se gêne pas pour la chambrer. Ainsi, en 2011, lors des championnats du monde disputés à Oslo, le dernier relayeur norvégien Petter Northug s’apprêtait à franchir la ligne d’arrivée en premier lorsqu’il s’est arrêté juste avant. Il s’est alors retourné vers son rival suédois Marcus Hellner, faisant mine de l’attendre, avant de passer la ligne juste devant lui et d’offrir la victoire à la Norvège. Une provocation qui n’a du tout plu à la Suède mais qui semblait être une réponse de Northug à Hellner, lequel avait battu le Norvégien quelques jours plus tôt sur l’épreuve du sprint.
Mais trois ans plus tard, à l’occasion des Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi, les relais norvégiens féminin et masculin sont complètement passés à côté de leur compétition à cause d’un mauvais fartage des skis. Et tandis qu’ils finissaient en dehors du podium, la Suède remportait les deux courses. Les Suédois n’ont donc pas manqué de se moquer de leurs éternels rivaux, se demandant si ce n’était pas trop facile de reposer la faute sur leur matériel.
Toutefois, cela n’empêche pas les deux pays de collaborer. Des skieurs norvégiens courent pour des équipes suédoises et inversement. En football et en handball, des sportifs et des sportives de Norvège évoluent dans le championnat voisin et croisent des Suédois faisant le chemin inverse. Des compétitions internationales dans divers sports ont également été organisées conjointement.
En dehors des terrains de sport, la rivalité laisse place à une forme de taquinerie. Les Norvégiens et les Suédois aiment se comparer et faire des plaisanteries sur leurs différences. De nombreux stéréotypes et caricatures que les uns ont sur les autres circulent de chaque côté de la frontière. On se moque, par exemple, gentiment de l’accent du voisin. Ou comme sur une certaine carte de la Scandinavie (photo en une), les Norvégiens imaginent avec humour un monde sans la Suède. Bref, s’il y a en France des blagues belges, il y a en Norvège des blagues suédoises.
Malgré ces enfantillages, Norvégiens et Suédois demeurent deux peuples amis, et même frères. A l’origine, ils sont, avec les Danois, un seul et même peuple germanique qui parlait une langue commune : le norrois. L’histoire a fait qu’ils se sont séparés. Mais les deux langues sont encore très proches et un Norvégien et un Suédois peuvent se comprendre s’ils parlent chacun dans leur propre langue. Le norvégien standard (bokmål) étant issu du danois, ces deux idiomes sont aussi très ressemblants. Quant aux Islandais, ils sont d’origine danoise et norvégienne et font donc partie du grand groupe culturel scandinave. En revanche, les Finlandais ne sont pas linguistiquement des Scandinaves mais des Finnois. Leur langue est très différente et n’a que peu de point commun avec celles de leurs voisins. Mais s’il y a quelque chose qui les unit tous, c’est une même mentalité partagée, un esprit nordique commun. Sans oublier des drapeaux arborant tous un motif commun : la croix scandinave.
Comme exemple d’entraide et d’unité, lors de la Seconde guerre mondiale, des Juifs danois et norvégiens ont pu fuir en Suède, laquelle avait conservé son statut neutre et n’avait pas été envahie par l’Allemagne nazie. Par la suite, de nombreux civils norvégiens ont trouvé refuge de l’autre côté de la frontière. La solidarité scandinave a ainsi permis de sauver beaucoup de vies.
Afin de sceller cette amitié fraternelle, le Conseil nordique a été créé en 1952. Il est constitué de délégations des cinq pays nordiques, ainsi de celles des territoires autonomes du Danemark (îles Féroé et Groenland) et de la Finlande (îles Åland). Il garantit la coopération intergouvernementale entre les pays membres et a créé le concept de la nationalité nordique. Elle permet à tout citoyen scandinave de vivre et travailler dans n’importe quel pays nordique sans contrainte.
Par conséquent, de nombreux Suédois habitent en Norvège et les unions mixtes sont courantes. Beaucoup de Norvégiens ont des origines suédoises et vice-versa. Par exemple, la reine Märtha de Norvège, épouse du roi Olav V, était suédoise, tandis que Haakon VII, le père d’Olav, avait lui-même des ascendances suédoises.
De plus, à la télévision norvégienne, il est fréquent de voir des programmes suédois, comme des séries ou des émissions de divertissement, toutefois sous-titrés en norvégien. Aussi, il existe un programme appelé Landskampen (Le match des nations), où des sportifs norvégiens et suédois issus de sports d’hiver s’affrontent en équipe sur une série de défis physiques. Diffusé simultanément dans les deux pays, il s’appuie sur cette fameuse rivalité sportive, mais dans une ambiance chaleureuse et amicale.
Economiquement, la Norvège et la Suède sont très liées et pratiquent le libre échange, bien que la première ne soit pas membre de l’Union Européenne alors que l’autre l’est. Elles font cependant partie toutes les deux de la Communauté Economique Européenne et de l’Espace Schengen. Ainsi, des marques et des entreprises suédoises sont implantées en Norvège et inversement. Il y a de nombreuses coopérations, notamment dans la maintenance et le développement des transports transfrontaliers, et la majorité des villes norvégiennes est jumelée avec des villes suédoises.
Enfin, les deux pays partagent des liens culturels étroits. Les habitudes culinaires et les recettes traditionnelles sont similaires de part et d’autre de la frontière et le mode de vie reprend des concepts proches, comme celui de la recherche du bonheur simple, appelé kos en Norvège et lagom en Suède. La société est basée sur des principes d’égalité et d’inclusivité et le fonctionnement de la politique garantit des niveaux de démocratie les plus élevés au monde. La protection de l’environnement et le besoin de contact avec la nature sont également des valeurs cardinales communes.
A un moment où des nations s’agressent et se déchirent, qu’elles soient sœurs ou non, il est bon de rappeler que la paix et l’amitié entre les peuples sont possibles et qu’elles sont même un devoir. L’Europe et la Scandinavie en sont l’exemple.
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