Une ferme au bord de la mer

Après « Une ferme à la montagne« , qui décrivait le quotidien d’une bergerie de la vallée de Gudbrandsdal, au Sud-Est de la Norvège, « Une ferme au bord de la mer » raconte la vie d’une petite exploitation située dans le village de Tovik, près de la ville de Harstad, dans le Nord du pays. Elle se trouve au bord de la mer, à la croisée des fjords de Vågsfjord et d’Astafjord. C’est une ferme très ancienne, dont les bâtiments d’origine ont été reconstruits de façon plus moderne. La maison familiale a, quant à elle, été rénovée tout en conservant certains éléments de l’époque et mêle ainsi l’ancien au moderne dans un style tout à fait charmant.

La ferme abrite un petit troupeau de douze moutons, dont onze brebis et un bélier. Ils appartiennent à une race ancienne norvégienne, proche des premiers ovins domestiqués par l’homme il y a des milliers d’années. Ces moutons sont d’une taille plus petite que la moyenne, ont une toison à la laine plus longue et moins frisée que leurs cousins communs et arborent différentes couleurs. Blancs, noirs, marrons, mais aussi bicolores ou les trois à la fois, ils sont facilement reconnaissables les uns des autres, comme portant une carte d’identité sur le dos. Les brebis ont d’ailleurs toutes un prénom, telles que les sœurs Lucy, qui est blanche (du norvégien « lys » signifiant « clair »), et Suzy, qui est noire et dont le nom commence par un « s », comme la couleur « svart », qui se traduit par « noir ».

Au printemps, les brebis donnent naissance aux agneaux, entre un et trois par portée, et sont parquées dans un enclos où se trouvent des stalles, des petites maisons rondes dans lesquelles elles s’abritent. Alors que la neige ne vient que de fondre et de disparaître des pâturages, l’herbe sur laquelle elle a reposé pendant des mois n’a pas encore retrouvé ses belles couleurs vertes, mais présente plutôt un teint jaunâtre. Alors, lentement, la terre se réchauffe et en quelques semaines, se rhabille de vert. C’est donc le moment de libérer les moutons, d’abord sur quelques parcelles délimitées par une clôture électrique amovible. Ainsi, chaque jour, autour de la ferme, on définit un enclos où les brebis et leur vingtaine d’agneaux vont pâturer le temps d’une journée.

On leur donne aussi les dernières bottes d’ensilage, de l’herbe fermentée que l’on coupe pour nourrir les animaux l’hiver, et des granulés. Quant aux agneaux, s’ils allaitent encore leur mère et commencent à brouter l’herbe, certains sont rejetés par leur progénitrice ou bien celle-ci ne peut pas les nourrir si elle a déjà deux petits. Il faut alors les allaiter au biberon avec du lait en poudre. En général, ils reconnaissent facilement le biberon et viennent téter immédiatement, jusqu’à boire tout le lait d’un seul trait.

Puis, quand le moment est venu, les moutons sont enfin placés dans le grand enclos, celui où ils vont rester pendant tout l’été. C’est un pré accroché à flanc de montagne, traversé par une rivière qui se jette dans la mer en contre-bas et couvert en partie d’arbres, principalement des bouleaux, qui forment de petits bosquets. Auparavant, la clôture a été contrôlée et réparée si besoin, tandis que les ouvertures qui avaient été faites l’hiver pour tracer les pistes de ski sont refermées.

Seul le bélier, dont les impressionnantes cornes en forme de lyre lui entourent les deux côtés du crâne, mène sa vie en solitaire dans son enclos séparé du reste, où il gambade paisiblement entre la rivière et le haut de la colline. Le moment où il pourra enfin retrouver de la compagnie viendra à l’automne prochain, lorsqu’il honorera auprès de ses brebis son rôle de mâle reproducteur du troupeau.

La taille du cheptel ne permet pas à la ferme d’apporter suffisamment de revenu pour s’en contenter, mais elle fournit assez de viande pour la famille à l’année et le reste peut être vendu. La laine coupée à l’été est également vendue ainsi que les peaux. De plus, la viande issue de la chasse à l’élan, un grand cervidé très répandu dans la région, est consommée localement et l’excédant est ensuite revendu. Des échanges sont aussi faits avec le voisin pêcheur entre de la viande et du poisson.

Le fier bélier attend impatiemment sa ration d’ensilage.

L’essentiel de la production de la ferme vient des framboisiers, lesquels sont plantés en une douzaine de rangs abritée sous des tunnels. Ces tunnels sont de grandes structures métalliques formant un toit arrondi, lequel est recouvert d’une immense bâche blanche. Celle-ci permet de protéger les baies des oiseaux, qui raffolent souvent de fruits rouges, et de créer un léger effet de serre. Après la récolte, elle est retirée et enroulée dans de longues gouttières pour la protéger de la neige en hiver. Car sous son poids, elle pourrait se déchirer et s’écrouler.

La remettre en place tous les printemps est donc un travail long et fastidieux, mais surtout très technique. Après avoir monté des échafaudages de chaque côté du tunnel, il faut sortir la bâche encore enroulée de la gouttière et la maintenir sur le haut des arceaux qui forment la structure du toit. Pour cela, on la soulève à l’aide de longues perches munies de deux cornes, comme des fourches en forme de Y, et la place au centre de la structure en veillant à ce qu’elle ne retombe pas d’un côté ou de l’autre.

Puis, à partir d’un des deux échafaudages, on déplie la bâche et la tire délicatement de chaque côté. Pour faciliter la manœuvre, on fixe aux cornes des perches un tuyau pour obtenir une sorte de cercle rigide et on pousse la bâche vers le haut avant de relâcher. Ainsi, en retombant, elle se déploie plus aisément. De plus, pour éviter qu’elle ne s’envole tandis qu’on la déplie, on la maintient par sécurité avec une corde à plusieurs endroits différents.

Une fois la bâche déployée jusqu’à l’autre bout du tunnel, il faut maintenant la fixer définitivement à la structure métallique. On utilise alors une longue corde que l’on fait passer d’un côté à l’autre du toit et attache à des crochets au niveau de chaque arceau. Ainsi tendue, la corde agit comme un filet par-dessus la bâche et l’empêche d’être emportée par le vent. Cependant, il faut parfois ajuster la bâche si elle a été trop tirée d’un côté et alors recommencer en partie ce qui a déjà été fait.

Cette opération, aussi complexe que primordiale, est à répéter pour chaque tunnel. Aussi, elle ne peut en aucun cas être réalisée s’il y a trop de vent. L’idéal est donc de consulter régulièrement les prévisions météo et de trouver le créneau parfait pour la programmer, quitte à commencer à quatre heures du matin… mais quand même en plein jour.

Quant aux framboisiers eux-mêmes, les tailler est très important car ils donneront des fruits plus gros et de meilleure qualité. Chaque pied est attaché à une sorte de treille constituée de fils tendus afin qu’il pousse bien droit. Il faut alors couper ceux de l’année précédente, qui sont désormais secs et ne produiront plus de baies. La coupe doit être faite à ras pour ne pas attirer les champignons et autres parasites. De plus, on taille les jeunes pieds en hauteur pour inciter la plante à pousser en largeur et ainsi faciliter la récolte des framboises. Les bourgeons situés en bas sont également retirés afin, là aussi, de concentrer l’énergie de chaque plante sur les bourgeons du milieu. La production annuelle est estimée à près de 2000 kg de framboises, dont une partie est transformée en confiture, en sirop ou en vinaigre.

D’autres fruits et légumes sont cultivés dans la ferme, dont du cassis, des fraises, des carottes, des pommes de terre et de la rhubarbe. C’est d’ailleurs au printemps que sont plantés les fraisiers et les graines de carotte. Si besoin, les mauvaises herbes sont arrachées ou brûlées avec un chalumeau, puis la terre est fertilisée avec du fumier de mouton, ou seulement des crottes récupérées sur place, et arrosée d’un mélange d’eau et d’engrais naturel issu de déjections de poulets. Comme le guano, produit par les oiseaux marins, cet engrais est riche en nutriments, notamment de l’azote.

La ferme dispose aussi d’une serre, qui fait office de bergerie durant l’hiver. Ainsi, les moutons fertilisent naturellement la terre lors de leur passage dans la serre. On prépare ensuite la terre en la creusant, rajoutant de la laine de mouton puis de la paille pour le compost, et recouvrant le tout de terre pour former une butte. On peut alors planter toutes sortes de fruits et légumes, dont la plupart a d’abord été cultivé en intérieur dans de petits godets exposés à des lampes à rayonnement ultraviolets. On repique ainsi des choux, des betteraves, du céleri, des herbes aromatiques, des concombres et des pieds de tomates. Ces derniers sont soutenus tels des tuteurs par des cordelettes, elles-mêmes suspendues à une autre cordelette tirée de part et d’autre de la serre. De cette façon, les pieds de tomates pousseront en hauteur, guidé par ce fil tendu, et seront plus facile à tailler.

Ces fruits et légumes ne sont pas destinés à la vente mais à la consommation personnelle de la famille. En revanche, si les rendements sont très bons, les suppléments pourront être vendus, donnés ou échangés. Certaines plantations font aussi l’effet de tests, afin de savoir s’il est possible, sous serre, de faire pousser des fruits ou des légumes habitués à des températures plus élevées que sous les latitudes arctiques.

Les pieds de tomates sont plantés dans la serre. Il y a plusieurs variétés : marmande, cœur de bœuf, black cherry…

Cependant, la ferme tire également des revenus d’une autre ressource : le bois. Elle possède des parcelles de forêts de bouleau, dont les arbres sont coupés et débités en bûches. Celles-ci sont ensuite calibrées à l’œil, disposées dans de grands filets de façon à avoir des volumes équivalents de bois puis laissées à sécher. Le plus important dans le remplissage des filets est de serrer le plus possible les bûches les unes contre les autres afin de bien remplir les espaces et de ne pas vendre plus d’air que de bois aux clients. Le bois de bouleau, un arbre très courant en Scandinavie, est un excellent bois de chauffage.

Les forêts sont d’ailleurs sources de nombreuses richesses, puisqu’entre l’été et l’automne, elles regorgent de fruits sauvages, tels que les myrtilles, les airelles et les baies arctiques (ou « multe ») mais aussi de champignons. On y chasse aussi du gibier, dont l’élan, le plus grand cervidé d’Europe, reconnaissable à ses bois larges et arrondis. Enfin, on y fait honneur au friluftsliv, littéralement « la vie à l’air libre », et part pour de longues randonnées en pleine nature.

Le petit port de Tovik.

Enfin, la plus grande ville la plus proche de la ferme est Harstad, à moins d’une heure de route. Peuplée d’environ 24 000 habitants, elle est située sur la côte Nord-Est de l’île de Hinnøya, sur les rives du fjord de Vågsfjord. Elle est la deuxième ville du comté de Troms, après Tromsø. Son port est une escale de la célèbre compagnie d’express côtiers Hurtigruten, dont les bateaux longent les côtes norvégiennes du Sud au Nord.

C’est une ville moderne et dynamique, accueillant de nombreux évènements culturels et sportifs, ainsi que le centre historique du Hålogaland, un ancien royaume viking qui s’étendait sur la majeure partie de la Norvège du Nord. Lors de la Seconde Guerre Mondiale, la ville a également été un point important dans la défense du pays contre l’invasion allemande, puis une base majeure de la Wehrmacht sur l’Atlantique. C’est aujourd’hui une des villes les plus peuplées de la région arctique.

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